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2 février 2022 3 02 /02 /février /2022 11:41

L’un des problèmes majeurs de notre temps, qui subsume en tout cas d’autres problèmes plus « locaux », est celui du lien, ou plutôt de sa dissolution dans le contexte (hyper)individualiste qui est le nôtre.

 

Il ne s’agit pas pour autant de déplorer cette dissolution mais de repérer et de mettre en valeur un ensemble de d’initiatives, de doctrines, de pratiques qui, depuis l’entrée dans la modernité, peuvent constituer autant de ressources. Et il s’agit, avec ces ressources, de construire une machine permettant de faire échec au ressentiment – une véritable machine désirante. Dans l’atmosphère complotiste actuelle qui ne voit en effet que l’argumentation rationnelle reste en grande partie inopérante. C’est une question de rythme de la pensée, en fait. Si les démarches d’un Gérald Bronner sont absolument nécessaires, il me semble urgent de trouver, au-delà de la rationalité, un régime de pensée qualitativement supérieur, source d’une augmentation de puissance – de joie au sens spinoziste du terme.

 

Comment cela est-il possible ? En puisant justement dans ces ressources à notre disposition : par exemple, Bergson nous donne une pensée qui se situe en ce lieu où la vie et le monde nous apparaissent comme une source permanente d’éternelle nouveauté (chap. 3) ; ou encore, la phénoménologie nous permet de revenir à la chair du monde, en-deçà du rapport purement utilitaire aux choses (chap. 4), l’art-thérapie permet de réintroduire du qualitatif dans le rapport au monde des patients (chap. 5) ; la marche pèlerine permet une immersion dans l’environnement, source de joie et de dépassement de l’ego (chap. 6), etc.

 

Certes, me dira t-on, mais ces considérations fumeuses ne sont-elles pas déconnectées de la réalité ordinaire et prosaïque ? Non si je me réfère d’abord à mon rapport à moi-même et aux autres après deux années de travail d’écriture et de transmission sur ces questions. De même si j’en juge par ma confiance et mon rayonnement thérapeutique nouveaux auprès des patients du centre de soin des addictions où je travaille ; ou encore si je prends en considération les retours très gratifiants d’étudiants concernant ma pédagogie dans les universités libres où j’exerce (où je fais un cours sur le conspirationnisme, d’ailleurs).

Au-delà de mon cas personnel, c'est cette entreprise de repérage, de sélection des affects qu'il me semble urgent de privilégier, y compris dans l'éducation, si l'on veut lutter contre le ressentiment, lui-même à la source de nombreuses dérives actuelles.

C’est cette « qualité énergétique » qui, globalement, constitue finalement l’essentiel pour moi, si je jette un regard à la fois rétrospectif et ouvert sur Le Lien à l’ère de l’individualisme.

 

 

https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_lien_a_l_ere_de_l_individualisme_la_chair_du_monde_pascal_coulon-9782343250731-72244.html

 

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22 janvier 2022 6 22 /01 /janvier /2022 10:41

 

Après plusieurs mois de silence je publie un article sur mon blog pour signaler la parution chez L'Harmattan de mon livre commencé avant le premier confinement, Le Lien à l'ère de l'individualisme ; La Chair du monde. Je souhaitais à l'origine privilégier La Chair du monde comme titre, mais c'est le choix de l'éditeur d'en faire le sous-titre.

Les derniers articles de ce blog donnent plus de détail sur le contenu du livre puisque une petite dizaine d'entre eux sont constitué d'extraits des différents chapitres ou constituent des introductions à ces chapitres.

 

Le lecteur trouvera ci-dessous la quatrième de couverture du livre, puis un lien permettant de mieux voir la couverture et surtout de le commander chez L'Harmattan. Il est aussi possible de commander le livre sur les plateformes classiques, en librairie, ou même de me contacter afin que je l'envoie, voire que je vous le transmette en main propre.

 

 

 

La question du lien — aussi bien celui horizontal qui nous attache aux autres hommes, que celui vertical qui nous met en connexion avec le cosmos — présente en ce début de 21ème siècle un caractère d’urgence. Manque de lien, sentiment de non-appartenance à un Tout, de rupture avec la nature, perte du sens de notre action, voire de notre vie, ce problème enveloppe différents plans — affectifs, sociaux, existentiels, cosmiques.

Ce livre part plus précisément du moment fondateur de l’entrée dans la modernité, entre le 17e et le 18e siècle. C’est alors en effet que, dans un même mouvement, les liens traditionnels se délitent, mais que ce délitement suscite en retour des résistances, différentes tentatives, et surtout des doctrines et des pratiques visant à retrouver la chair du monde.

Comment déceler une source vive permettant de créer de nouvelles formes de lien plus en adéquation avec l’individualisme des sociétés modernes? Philosophie, art, littérature, sociologie, pratiques spirituelles et éthiques, sont les formes les plus significatives de régénération du lien qui, de l’âge classique à nos jours, sont étudiées dans cet essai afin d’extraire la substance de cette énergie qui traverse l’histoire et de mettre en évidence sa fécondité en termes de réponses aux défis de l’époque contemporaine.

 

Pascal Coulon enseigne la philosophie et l’histoire de l’art depuis une vingtaine d’années dans des lieux aussi différents que des établissements d’enseignement secondaire catholique, des universités ouvertes, des centres de formation pour travailleurs sociaux ou encore des maisons d’arrêt. Ce quatrième ouvrage est aussi fécondé par une longue expérience du voyage en Extrême-Orient, du pèlerinage sur les chemins européens et de pratiques thérapeutiques dans un Centre parisien de soin des addictions.

 

 

https://www.editions-harmattan.fr/livre-le_lien_a_l_ere_de_l_individualisme_la_chair_du_monde_pascal_coulon-9782343250731-72244.html

 

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3 juin 2021 4 03 /06 /juin /2021 09:19

 

Alors que je termine le travail de relecture de La Chair du monde ; Essais sur le lien à l'ère de l'(hyper) individualisme (et avant la "rédaction à froid" d'une conclusion), je publie dans cet article quelques extraits que j'espère significatifs du chapitre 8, "Le souci de soi". Cet assez long essai porte tout à la fois sur la dimension éthique et socio-thérapeutique des philosophies antiques, sur la rupture de la modernité en la matière à partir du 17ème siècle, et sur le rétablissement d'une certaine continuité grâce à l'apport des pensées et pratiques extrême-orientales.

(le système de notes de bas de page étant difficilement transposable sur le blog, le lecteur trouvera néanmoins en fin d'article les références).

 

 

 

 

"La pensée philosophique de l’Antiquité avait une vocation à la fois spéculative et thérapeutique. Des auteurs comme Hadot, Foucault ou Luc Ferry ont bien montré que les visées pratiques et éthiques de divers penseurs – épicuriens et stoïciens principalement – se confondaient bien souvent avec la dimension purement spéculative de leur pensée, et que leur tropisme majeur était le Souverain Bien, le bonheur, ou encore l’accomplissement optimum des potentialités humaines. Autrement dit, la spéculation était subordonnée à l’éthique, une fois bien entendu que, loin de la connotation morale restrictive que les individualistes modernes attachent aujourd’hui à ce terme, l’éthique des Anciens consistait à définir les conditions d’un bien-vivre ; ce qui passait essentiellement par la levée des obstacles à ce bien vivre, et notamment un ensemble de peurs, de névroses - celle de la mort plus particulièrement, qui les subsume toutes en quelque sorte. Bref, ces pensées eudémonistes (du grec eudemon : le bonheur) visaient l’ataraxie – l’absence de troubles [....]

 

 

Ainsi les stoïciens percevaient le monde comme un Tout englobant ce qui vit, un bel orbe à l’intérieur duquel chaque élément résonnait affectivement de façon solidaire, aussi bien avec les autres qu’avec l’ensemble. Chacun de ses éléments – pierre, arbre, étoile, animal, homme, etc. - fonctionnait selon un réseau de correspondances et d’analogies, qu’il s’agisse de la vision globale du monde, du rapport à la nature, du rapport à l’autre homme, ou encore de la santé de l’âme et du corps [....]

 

 

L’entrée dans la modernité constitue à cet égard une véritable rupture : l’approche analytique liée à l’avènement de la science ne permet plus en effet d’appréhender réellement les choses, la nature et les être en fonction de l’organicité d’un Tout. Comme l’écrit Eliade, « Le risque de toute analyse est de fragmenter et pulvériser en éléments séparés ce qui, pour la conscience qui les a représentés, composait une seule unité, un Cosmos »

Dès lors, la philosophie moderne prend acte de ces ruptures et les entérine métaphysiquement en quelque sorte - notamment avec l’affirmation cartésienne du dualisme de l’étendue et de la pensée. Il n’était pourtant pas écrit qu’il dût forcément en être ainsi. Il eut été possible de prendre plus en considération la pensée d’un Maine de Biran, par exemple, et de la valoriser de telle sorte que la face théorique de l’Occident en eut été modifiée dans le sens d’une attention prononcée à la sensibilité, et plus encore à ce que l’on peut appeler « l’être atmosphérique ». Les « dispositions affectives » des hommes eussent été alors privilégiées, et surtout la sympathie organique qui fusionne toutes les choses [...]

 

 

 

[...] la clé permettant de comprendre l’apport de l’Orient et la fécondité de certaines pratiques, c’est la continuité, celle que nous avons perdue depuis l’entrée dans la modernité. Au-delà même de l’Orient, comme le dit Philippe Descolas : « Seul l’Occident moderne s’est attaché à bâtir l’opposition, donc la discontinuité supposée, entre la nature et la culture. »

 Cependant, la différence entre holisme asiatique et individualisme occidental prend ici tout son sens, tant sur les plans sociopolitiques que métaphysiques. Alors que les recherches scientifiques de l’Occident tendent à conduire vers des fragmentations, des subdivisions et des oppositions, les pratiques issues des cultures extrême-orientales nous enseignent la continuité de toute chose - entre l’homme et la nature, entre les différents règnes, entre les hommes et les dieux, entre les plans matériels et subtils, entre micro et macrocosme, etc. A l’encontre de l’approche analytique occidentale, l’Orient permet d’appréhender la réalité comme un ensemble où les oppositions ne sont certes pas absentes, mais où elles se coordonnent et s’harmonisent [...]

 

 

Cependant, il convient de remarquer que, dans le contexte individualiste occidental, l’expansion du capitalisme et de son pragmatisme utilitariste à des domaines toujours plus étendus – la culture et la spiritualité – n’est pas étrangère au fait que, de dérivée, la fonction socio thérapeutique de ces disciplines est passée à une place prééminente, généralement sous la forme des activités de bien-être. De ce point de vue, Marx lui-même n’avait sans doute pas prévu que la dynamique capitaliste dépasserait la sphère de la production matérielle et la fétichisation de la marchandise, et qu’elle en viendrait à toucher la production intellectuelle et spirituelle. Devenu progressivement un capitalisme cognitif, c’est ainsi que ce dernier transforme toutes sortes d’états ou d’émotions en marchandises. Comme dans beaucoup d’autres domaines, les pratiques de « disciplines de soi » (yoga, zen et leurs dérivés) ont progressivement été récupérées en grande partie par "le nouvel esprit du capitalisme" [...]

 

 

 

Enfin, ce sont certains Textes sacrés eux-mêmes qui fournissent la clé de l’intégration du yoga dans nos sociétés modernes, un moyen de concilier modernité et discipline de soi. Extrait de la grande épopée nommée Mahabharata, c’est notamment le cas de la Bhagavad-Gita, ce texte des environs du 2ème siècle avant Jésus Christ. Il faut certes extraire son noyau philosophique de la gangue poétique qui l’enserre pour comprendre qu’il fournit ses lettres de noblesse au yoga. En quel sens ce texte sacré peut-il être assimilé au yoga ? En quoi cet écrit dont l’ancienneté remonte à plus de deux millénaires peut-il constituer un guide spirituel pour nos contemporains ?

La Gita est bien un yoga, mais une de ses formes particulières qui s’écarte de l’ascèse forestière traditionnelle des sanyasins (renonçants). En Inde même la prise de conscience de la Mâyâ (l’illusion) ne conduit pas nécessairement à l’ascèse et à l’abandon de toute existence sociale et historique. Elle peut conduire à un autre rapport au monde, à d’autres yogas, et notamment le karma yoga, ou yoga de l’action. Pour la Gita, seuls quelques moines sont contemplatifs. On ne peut s’exclure de la société ; que nous le voulions ou non, nous sommes engagés dans un monde où la société a besoin de nos actions [...]"

 

 

[1] Illouz E., Les Marchandises émotionnelles, Paris, Premier parallèle, 2019

[1] Descola P., Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines », 2005 (p. 30)

[2] Comme l’écrit F. Jacquet : « …la modernité galiléo-cartésienne se caractérise par la pulsion séparatiste »

[1] Eliade M., Traité d’histoire des religions Paris, Payot, « Bibliothèque scientifique », 1949 (p. 302)

[1] Hadot P., Qu’est-ce que la philosophie antique ? Paris, Gallimard, ‘Folio Essais », 1995 ; Foucault M., Histoire de la sexualité vol. 3, « Le souci de soi », Paris, Gallimard, 1984 ; Ferry L., Vaincre les peurs. La philosophie comme amour de la sagesse, Paris, Odile Jacob, « Essais », 2007
 
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17 mai 2021 1 17 /05 /mai /2021 23:33

Alors que je viens de terminer le dixième et dernier Essai - portant sur l'amour - de La Chair du monde, je publie ici quelques extraits du sixième Essai concernant la puissance philosophique de la marche. D'ailleurs, comme je profite du déconfinement pour repartir marcher vers la mi-juin entre Toulouse et Pau sur le Chemin d'Arles, je crois que je vais laisser un peu retomber l'énergie de l'écriture, et profiter de cette pérégrination pour méditer avec un peu de recul la conclusion de ce livre pour lequel je me suis beaucoup investi depuis bientôt vingt mois .

 

Voici donc les extraits en question :

 

 

De toute évidence, la marche - ce geste simple et si profondément humain - possède un pouvoir régénérateur. Alors que nombre d'entre nous souffrent aujourd'hui d'une dispersion chronique, de l’impossibilité à se concentrer, il est notable que la marche de randonnée permet de se recentrer. Des recherches scientifiques anglaises (université de British Columbia) et américaines (une récente étude publiée dans les comptes rendus de l’Académie américaine des sciences) montrent ainsi que les randonnées réduisent le stress, l’anxiété, dopent la confiance en soi, et libèrent de l’endorphine ...

 

 

En tant que vecteur de ressourcement, cet acte simple est un formidable moyen de lutte contre les différentes formes de mal-être et les tendances dépressives inhérentes à l’hyper individualisme du monde contemporain dont souffrent les plus sensibles d’entre nous. En effet, dans ce contexte, l’angoisse du vide et de la solitude tend à générer des frustrations de toute nature et à entraîner une mutation du désir en répétition compulsive et en comportements addictifs. Nous sommes ainsi conduits à chercher toujours plus de satisfactions dans l'accumulation de biens matériels, d’honneurs, de connexions, ‘d’amis’ sur les réseaux, de substances, etc., - accumulation elle-même alimentée par une rivalité mimétique exponentielle. La marche est thérapeutique parce qu’elle brise cette mécanique implacable. En effet, elle fait partie de ces pratiques minimalistes autorisant un passage du quantitatif au qualitatif (cf. infra, chap. 5, § b) ...

 

 

La vie de Rousseau consiste ainsi en des alternances de vie sociale et de vie solitaire dans la nature. A la séparation d’avec les hommes succède un rapprochement heureux avec la nature au cours duquel se produisent des modifications progressives de son âme, modifications dont il rend compte au moyen de ce qu’il appelle un « baromètre intérieur ». C’est ainsi qu’il évoque un moment au cours de ses pérégrination – il atteint un certain degré énergétique – où s’établit un accord subtil entre lui et ce qui l’entoure. Plus il se tourne vers lui-même dans sa marche méditative, plus il découvre ce qui le dépasse et le comprend. C’est alors qu’émerge ce que Bruce Bégout appelle « le fond tonal de l’existence », sans division du moi et du monde. Ainsi, à l’encontre du petit moi social des tracas et des intérêts, le moi tonal se perd dans l’immensité, se plonge dans l’océan de la nature, ...

 

 

On pourrait parler de la marche comme vecteur phénoménologique en ce sens qu'elle permet de "revenir aux choses mêmes", comme le disait Husserl. Elle nous reconduit vers ce que Merleau-Ponty appelle "la chair du monde", vers les dimensions telluriques de notre rapport au monde et les rythmes cosmiques de l'univers. 

« Caminante no hay camino, se hace camino al andar » : pour le pèlerin, le chemin n’est pas déjà là ; il n’y a de chemin que celui ouvert par l’avancée au-devant de soi. Notre traduction, très libre (et qui est déjà une interprétation) entend signifier la dimension à la fois phénoménologique et existentielle de la marche. Tout se passe comme si le pèlerin, de même que le peintre ou le poète, s’extrayait d’un rapport utilitaire au monde environnant pour aller vers l’initial, un monde fait de signes, ‘avant’ la saisie rationnelle et pratico-technique de cet univers ...

 

 

Dans un tel rapport au monde, c'est d'abord le corps qui est sollicité ; c’est par lui, par la symphonie des sens pleinement éveillés, tout autant que par ses douleurs, que j’ai le sentiment d’être partie prenante du cosmos, et plus loin, d’un réseau de significations oubliées, mais subitement régénérées. Les arbres, l’eau de la fontaine, les lapins, le renard, les serpents, les cigognes, mais aussi les femmes et les hommes croisés sur le chemin, les paroles et les regards échangés, s’inscrivent alors dans un subtil réseau de sens...

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7 novembre 2020 6 07 /11 /novembre /2020 09:40

Dans cet article le lecteur trouvera un nouvel extrait du livre que j'espère terminer au printemps - Le Lien à l'ère de l'individualisme, "La Chair du monde".

Le travail d'élaboration nécessaire à la réalisation de ce livre constitue aussi la trame de mes conférences philosophiques dans les Universités Inter-Âges de Normandie.

 

Concernant le fond de l'ouvrage, il s'agit de mettre en valeur un certain nombre de résistances, de mouvements, de doctrines et de pratiques qui se sont élevés contre la toute puissance de l'approche rationnelle liée à l'entrée dans la modernité. Ces différents mouvements ont cherché, et cherchent encore, à privilégier une puissance de vie régénératrice.

 

Sans omettre le versant sombre et les dangers de certains de ces mouvements, il sera donc question dans ce livre et ces conférences des artistes des avant-gardes du 20èmes siècle, du Romantisme, des philosophies de William James et de Bergson, de la phénoménologie, des transcendantalistes américains et d'un certain rapport initiatique à la nature, de la marche, des disciplines extrême-orientales, et de... l'amour.

 

L'extrait publié aujourd'hui est issu de la fin de l'introduction.

 

 

"Or, il se trouve que, concernant l'entreprise d’émancipation de l'acte philosophique, force est de constater que l’appel à la rationalité ne fonctionne plus aujourd’hui comme auparavant. A l’époque des Lumières, la raison a permis de lutter contre des préjugés obscurantistes et la superstition. Désormais, la raison est, certes, toujours très importante, a fortiori face au complotisme - signe d’une formidable régression obscurantiste qu’il faut combattre en ce début de 21ème siècle. Mais l’appel à la rationalité est devenu insuffisant, voire contre-productif, dans la mesure où celle-ci est de plus en plus identifiée aujourd’hui au calcul. De fait, l’approche quantitative qui colonise désormais toujours plus de secteurs où elle n’était pas de mise auparavant rend la rationalité suspecte, bien souvent perçue par les acteurs de certains champs (hôpital, secteurs médico-social, éducatif…) comme un nouvel asservissement, une source de souffrances multiples, et surtout une dissolution du sens de leur action ainsi qu’une perte de qualité de la relation humaine. Ainsi, souvent réduite à un instrument comptable, la rationalité tend à s’exercer au détriment de la dimension qualitative de l’activité humaine.

En fait, cette caractéristique de la rationalité, essentiellement attachée à notre postmodernité, entraîne une quasi-inversion de la problématique de l’émancipation. L’idée d’émancipation n’est certes pas caduque, mais le problème consiste moins aujourd’hui à se libérer des ténèbres de la superstition – même si cela reste important. Il s’agit plutôt de repérer des forces, des énergies souvent enfouies - à la condition bien sûr qu’elles se manifestent comme puissance de désaliénation permettant l’essor d’un nouvel imaginaire et des initiatives recréatrices.

 

A notre époque complexe où la domination est caractérisée par l’emprise de la technique et du tout économique, de nombreuses forces contraires déshumanisantes sont susceptibles de phagocyter cette puissance de vie et d’élévation. Remonter à la source de cette puissance permet de manifester une certaine confiance en la fécondité et la pérennité de l’imagination vitale qui traverse l’histoire et en constitue l’autre versant.

Puisse cet appel à la puissance de vie permettre de régénérer l’innocence du devenir et retrouver ainsi une enfance du monde !"

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5 octobre 2020 1 05 /10 /octobre /2020 19:09

je retrouve avec plaisir mon blog et ses lecteurs pour publier, aujourd'hui et dans les semaines à venir, une série d'articles ayant pour teneur les "bonnes feuilles", des textes significatifs issus de différents chapitres d'un livre sur lequel je travaille depuis un an (mais avec un matériau qui m'est familier depuis très longtemps), et que j'espère achever - et publier - avant le printemps.

 

la thématique générale de ce livre, Le Lien à l'ère de l'individualisme, "La Chair du monde", est celle du lien - aussi bien celui horizontal qui nous attache aux autres hommes, que celui vertical qui nous met en connexion avec le cosmos. Il s'agit donc d'un sujet qui nous concerne tous à bien des égards en ce qu'il enveloppe différents plans - affectifs, sociaux, existentiels, cosmiques. En fait cette question apparaît prioritairement en passant par la négation ; elle nous touche bien souvent sur le mode de l'absence et d'une souffrance subséquente : manque de lien, sentiment de non appartenance à un Tout, de rupture avec la nature, perte de sens de notre action.  

L'approche de cet ouvrage est d'abord philosophique puisqu'elle consiste à prendre pour point de départ, comme moment fondateur, l'entrée dans la modernité (le 17ème siècle). En effet, c'est alors que, dans un même mouvement, le lien traditionnel se délite, mais que ce délitement suscite en retour différentes tentatives, des résistances et surtout des doctrines et des pratiques visant à le maintenir, ou plutôt à trouver une source vive permettant d'en recréer de nouvelles formes plus en adéquation avec ce qui devient l'individualisme des sociétés modernes.

Les Essais de ce livre traitent dès lors de sujets qui peuvent être très différents, et qui ne surprendront pas les lecteurs réguliers de ce blog. Cependant, qu'il s'agisse de l'esthétique et du rapport au cosmos des peintres des avant-gardes du 20ème siècle, du Romantisme, de la philosophie de William James ou de Bergson qui cherchent à ancrer la pensée dans le mouvement de la vie, ou encore de l'effort phénoménologique pour retrouver "la chair du monde", ils ont tous pour tropisme commun cette problématique de la quête d'un fonds originaire générateur de lien. C'est aussi le cas de pratiques qui engagent le corps comme l'art-thérapie, de disciplines dont je suis adepte depuis longtemps comme la marche de grande randonnée et des "techniques de soi" généralement originaires d'Extrême-Orient - toutes expériences source d'évolution existentielle dont il sera ici question. Le dernier chapitre portera enfin sur l'amour, ce qui est la moindre des choses quand on prétend aborder la question du lien.

 

Je précise en outre que les différents chapitres de ce livre me servent aussi de support pour des conférences de philosophie et d'histoire de l'art dans diverses universités Inter-Ages de Normandie durant l'année scolaire 2020-21.

 

Je publie aujourd'hui un texte court : la première partie du préambule du livre.

 

 

PREAMBULE

 

Deux situations

 

Première expérience :

 

Mon but était de passer la frontière espagnole en milieu de journée par le col pyrénéen du Somport. Mais, ce matin-là, la montée solitaire à travers les sous-bois était particulièrement difficile. Le froid matinal, l’humidité, le brouillard succédant à une pauvre nuit pluvieuse et l’effort de la marche me rendaient le chemin étranger, voire hostile. Plus profondément, enfermé en moi-même, cette montée faisait douloureusement écho à une solitude personnelle, plus insidieuse. Le cœur serré, une sombre tonalité affective enveloppait mes pas, source d’abyssales et définitives cogitations existentielles.

 

Pourtant, au fil des heures, la clarté du jour dévoilait le sentier de pierre et de terre qui s’élevait progressivement en résonnant à travers tout mon corps. Les arbres se faisant plus rares avec l’altitude, j’avais un accès toujours plus étendu au ciel et au sommet de la montagne. Sous mes pas, le chemin cotonneux baignait désormais dans une étrange lueur argentée. Sans disparaître totalement, mon sentiment initial se métamorphosait, et ma pensée, s’extrayant des mélancoliques brumes matutinales, s’éclaircissait. La marche chaotique avait doucement fait place à un rythme plus régulier et apaisant ; le vent, les rochers, les sources, les lueurs timides du soleil, les oiseaux devenaient autant d’interlocuteurs familiers, de signes amicaux sur le chemin. Alors que se dressait tout près le sommet du Somport, une sensation nouvelle avait monté en moi, baignant d’abord la tristesse de mon cœur d’une lueur douce-amère, à laquelle avait succédé un fugitif éclair de joie. J’atteignais le col et m’apprêtais à descendre sur le versant espagnol.

 

Tel Ulysse à quelques lieues d’Ithaque, le dehors étranger s’était transformé en un chez-soi. J’étais à ma place.

 

 

Seconde expérience :

 

Mes paroles avaient du sens, mon discours était cohérent, mais il ne semblait rencontrer aucun écho. Sensation étrange et déprimante de parler dans le vide pour un enseignant. Ce n’était pas vraiment lié à ma force de conviction – j’avais une foi raisonnable en ce que je racontais et je maîtrisais assez bien mon sujet ; ni à un déficit de travail préparatoire – une ou deux fois j’avais été assez échaudé par l’expérience du dilettantisme pour ne pas risquer d’y revenir. Non, malgré des efforts qui augmentaient désagréablement ma température corporelle, ce jour-là j’étais simplement dans une bulle solitaire, une sorte de monade leibnizienne sans portes ni fenêtres, privé de réel contact avec mes auditeurs.

 

 Quel fut, après de longues et pénibles minutes, l’élément transformateur, source d’un régime qualitatif supérieur ? Un mot, une formule, une phrase ? Une posture corporelle, un regard, un sourire, une inflexion de voix qui renforçait la teneur dramatique du discours ? L’ensemble de ces composantes, ou quelques-unes d’entre elles ? Sans doute ne le saurai-je jamais. Mais de toute évidence, un cap avait été franchi et la tonalité affective de la séance se modifiait insensiblement. J’accrochais désormais les regards et ressentais progressivement se propager la dimension énergétique de mon discours. Et plus je devenais moi-même sensible à l’écoute des participants, plus je prenais de la joie dans l’expression de mon propos. Cette puissance nouvelle se mêlait à celle des participants et me revenait sous forme de sourires, d’expressions de surprise, de questions, de réactions.

Plus je donnais, plus je recevais ; la distinction formelle conférencier/auditeurs s’était progressivement estompée pour une forme supérieure d’échange. La communication était établie.

 

Deux situations, donc, très différentes en apparence. La première concerne l’axe vertical de la relation des hommes aux éléments naturels ou cosmiques ; la seconde, l’axe horizontal de la relation des hommes entre eux.

Quelles que soient les différences susceptibles d’exister entre ces deux petites histoires, elles ont un point commun : dans les deux cas, je suis relié.

 

 

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18 juin 2018 1 18 /06 /juin /2018 12:51
Les Asturies

Les Asturies

 

Mon périple récent sur l’un des chemins de Compostelle, le Camino Primitivo - trois cent vingt kilomètres entre Asturies et Galice, de Oviedo à Santiago –, fut l’occasion pour moi d’une réflexion sur la notion de « primitif », cette notion avec laquelle je n'ai cessé de commercer ces dernières années en m'attachant aux peintres des avant-gardes du 20ème siècle pour qui le primitif, l'élémentaire ou l'originaire constituent une quête essentielle - Klee, Kupka, Pollock, Soulages, et tant d'autres.

Concernant le Chemin, la dénomination « Primitif » renvoie officiellement à la chronologie, à l’histoire, dans la mesure où elle indique qu’Alfonso II, Roi des Asturies au 12ème siècle, fut le premier roi à entreprendre le pèlerinage. L’aspect religieux du pèlerinage prit alors une dimension politique, puisque c’était une façon de fédérer autour de lui les peuples du Nord de l’Espagne contre les velléités d’indépendance, notamment galiciennes, tout en réinvestissant culturellement, spirituellement, économiquement, militairement et politiquement la péninsule envahie par les maures. En ce sens, le pèlerinage vers les reliques de l’apôtre Jacques participa aussi de la Reconquista.

Cependant, au-delà de cette dimension chrono-historique et religieuse qui n’est pas réellement mon objet lors de ces pérégrinations, en marchant sur ce chemin difficile j’ai pu aussi percevoir ce que le terme « primitif » recelait de référence à l’originaire. Ce chemin, a fortiori parce qu’il s’inscrit dans la continuité du difficile et somptueux Chemin du Nord, est primitif en ce qu’il est sans doute le plus dur, mais aussi le plus authentique. Loin du grand barnum qu’est devenu le Camino Francès, le marcheur est immédiatement sollicité sur le Primitivo par son relief, son climat et ses zones désertiques. Le pèlerinage est exigeant et grandiose à la fois. Les dénivelés incessants, la pluie et la boue des chemins mettent les corps à  rude épreuve ; la rareté des pèlerins, mais aussi des villages rencontrés, de même que les espaces à perte de vue contribuent au sentiment de solitude du marcheur. Dans ces conditions assez rudes, il est inévitablement reconduit à ce qui fait l’essentiel ; de par le mouvement de la marche, il en vient à se sentir en phase avec l’élémentaire, et à ce qui renvoie dès lors à notre commune humanité - et qui remplit le marcheur de joie lorsqu’il s’y sent relié.

Ce sentiment de phase avec l’élémentaire, ou le primitif en tant qu’état de haute intensité qui n'est pas très éloigné de la quête des peintres évoqués plus haut, le pèlerin le doit aussi aux asturiens rencontrés sur le chemin. C’est un peuple rude, sans doute moins loquace que dans d’autres régions d’Espagne, à l’image de sa terre et de son climat. Mais ce sont des régions qui ont su préserver un sens profond et authentique de l’hospitalité, tel qu’il tend à nous faire désormais défaut. Cette hospitalité est d'une importance majeure, j’en ai fait plusieurs fois l’expérience ces dernières années. De ce point de vue, la qualité d’un chemin n’est pas liée aux conditions météorologiques ou à la plus ou moins grande difficulté de la marche, mais en grande partie aux hospitaliers, à l’attention et la bienveillance de ces femmes et ces hommes dont l’hospitalité dans son sens le plus originel contribue à inscrire le marcheur dans une histoire. La qualité humaine de leur accueil tend à donner au marcheur un sentiment d’appartenance qui le transforme presque insensiblement en pèlerin dépositaire d’une tradition ancestrale. Progressivement s'instille alors en lui ce sentiment de lien fraternel qui tisse à bas bruit l’arrière-plan émotionnel de tout véritable pèlerinage.

C’est dans cette mesure, par ce lien à l’élémentaire participant d’une nouvelle rythmique, que le pèlerinage fait partie de ce que j’appelle sur ce blog une « expérience-source d’évolution existentielle ». En l’occurrence, je veux indiquer par cette formule des expériences au cours desquelles le problème n’est pas d’acquérir ; des choses, bien sûr ; mais, il ne s'agit pas non plus de gagner du savoir à strictement parler, ni même de l’expérience. Cette connexion suppose au contraire de se délester, de s’alléger comme on allège son sac, de perdre en quelque sorte, pour revenir à ce primitif où le marcheur n’est plus rien : corps qui marche où le personnage social se trouve dépassé. Sentiment de perte des limites du moi et d’immersion dans le tout, à la façon des moines errants zen ; c’est une expérience régénératrice de connexion avec des énergies telluriques, des rythmes oubliés, qui se propose alors au marcheur ; non plus réellement un savoir, mais une co-naissance supérieure du (avec) le monde.

Mais il me semble aussi que ce type d’expériences, au même titre par exemple que les cures de jeûne qui tendent aujourd’hui à faire l'objet d'un début de réhabilitation de la part de la communauté scientifique, ont aussi une dimension éthique. Nous le savons, nos sociétés occidentales étouffent de surplus, de trop plein. Non seulement elles tendent à transformer tout étant en objet de consommation destiné à notre utilité propre, mais aussi tout individu citoyen en consommateur, et cela de façon exponentielle avec le développement des réseaux (il suffit de faire un achat sur le net pour s’en rendre compte).

Sur le plan de la santé, nous ne souffrons plus que rarement dans nos contrées de manque de nourriture, mais bien d’excès de toute sorte, facteur de pathologies diverses (surtout pour les plus démunis). Concernant la consommation d'une façon générale, même les plus conscients d’entre nous sont pris dans toutes sortes de contradictions mortifères entre leurs aspirations éthiques et écologiques d’une part, et une logique de laquelle ils ne peuvent s’extirper.

Nous tendons ainsi vers une sorte de fuite en avant auto destructrice, tant sur les plans sanitaire, écologique, qu’éthique. Certes, on peut redouter que, malgré nos coups de barre, il soit trop tard pour redresser le Titanic avant la collision avec l’iceberg fatal. Mais considérer cette perspective apocalyptique comme le seul horizon possible consisterait à ne pas tenir compte des expériences en question. Je l'ai dit dans un article précédent (http://fraterphilo.over-blog.com/article-texte-6-manquer-sans-entraves-64574178.html), ces expériences sont en effet des alternatives régénératrices. Mais ce sont aussi des formes de micro-résistances, des contre conduites (pour employer le langage de Foucault) visant, contre la logique de la consommation à tout crin, à réhabiliter le manque, le vide, comme des valeurs salvatrices et créatrices - dès lors que ces expériences sont effectuées sous le signe de la sollicitude et dans un esprit fraternel. Réhabiliter le manque permet de comprendre que le besoin de consommation, et bien souvent la faim elle-même, est une représentation construite socialement, et qui peut parfaitement se déconstruire dans la perspective d’une sobriété heureuse. C’est du moins, à mon modeste niveau, le message que je m’efforce de faire passer par l'intermédiaire des philosophes existentiels et de l'art dans un champ qui fait partie de mes compétences professionnelles – le traitement des addictions -, domaine où les questions du manque, du vide et de la solitude se posent de la façon la plus aigüe.

Plus globalement, des raisons existent de considérer l'avenir avec un certain optimisme, et c'est pour moi l'un des enseignements de ce pèlerinage et de ses rencontres. Depuis plusieurs décennies maintenant, s'est levée une nouvelle génération sensible à tous les êtres vivants, et qui refuse cette logique folle et destructrice de la consommation. Une nouvelle sensibilité, un renouvellement de la perception morale a émergé, qui se traduit, entre autres, par des mouvement de défense des animaux et de lutte contre l'abattage industriel (http://fraterphilo.over-blog.com/2017/01/j-180/l-214.html), ou encore par l'adhésion de toute une frange de la jeunesse au végétarisme, voire au véganisme. Cette génération nouvelle est consciente que les enjeux et problèmes auxquels nous avons à faire face sont d'une importance telle que leur résolution ne peut passer que par ce type de posture éthique - et certainement pas par un grand soir politique, toujours source de violence.

Comme pour le marcheur de l'aube qui connaît un sentiment de royauté, de premier matin du monde, un horizon se lève. Cette nouvelle génération a fait le choix de modifier son rapport à l'environnement, aux êtres vivants dans leur ensemble et à eux-mêmes. C'est à elle d'ouvrir le chemin désormais.

 

Sur le même thème : http://fraterphilo.over-blog.com/2018/01/royaute-du-marcheur.html

http://fraterphilo.over-blog.com/2016/05/auto-therapie-pedestre.html

http://fraterphilo.over-blog.com/2013/11/exp%C3%A9riences-limites.html

 

 

 

DU PRIMITIF
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26 novembre 2016 6 26 /11 /novembre /2016 23:38

Le samedi 03/12, le philosophe Frédéric Gros et le romancier Sylvain Tesson sont les invités de l'émission Répliques (9h sur France Culture) qui aura pour thème la marche. Sans doute sera t-il question des rapports de la philosophie et de la randonnée, et plus largement de ce que cette activité la plus humaine et la plus humble qui soit peut avoir de fécond pour la pensée.

Quoi qu'il en soit, marcheur de grande randonnée moi-même, j'en profite pour publier un texte qui synthétise différentes expériences sur plusieurs chemins de pèlerinage et qui complète mon cours sur les liens entre marche et philosophie.

Cet article est aussi une manière de rendre hommage au livre de F. Gros, Marcher, une philosophie, dans la mesure où il a contribué, parmi d'autres, à féconder mon écriture durant et au retour de ces séquences de pèlerinage.

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Comme l’indique le titre de cet article, c'est l’idée de corps marchant - par opposition au corps marchand, toujours plus ou moins aliéné, pris dans les reîtres de l’identité et de la productivité économique – qui m’inspire cet article de blog.

Si l’on peut parler de phénoménologie, c’est parce que la marche nous défait d’un certain nombre de contraintes sociales – notamment celles de l’identité (quand on marche, avant tout statut social, ethnique ou religieux, on est d’abord marcheur ou pèlerin !) - pour nous mettre en présence de la chair du monde. La marche, comme la poésie, sollicite à cet égard la présence, une pleine sensorialité. Joie et souffrances se confondent dans un rapport primitif et direct à la nature environnante, un rapport d'abord affectif. Le paysage, en marchant, se révèle toujours à nous progressivement ; et il nous imprègne de façon toujours singulière. Nous ressentons d’ailleurs différemment ce paysage en fonction de nos variations d’humeur. On peut ainsi parler d’une appropriation progressive, sensuelle et phénoménologique d'un paysage, et d'un chemin qui se révèle alors en tant que tel dans une majestueuse épiphanie.

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"Caminante, no hay camino ; se hace camino al andar" (Pour le marcheur, il n'y a pas de chemin ; le chemin se fait dans le cheminement") (A. Machado)

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Ces vers de Machado, bien connus des pèlerins, sont éminemment phénoménologiques en ce qu'ils indiquent le lien essentiel de co-naissance entre l'homme et le monde. Ils indiquent aussi un  mouvement de réappropriation au coeur duquel en vient progressivement à dominer le sentiment du sacré. C'est en ce sens que j’oppose le corps marchan-t au corps marchan-d : la marche participe en effet d’un ré-enchantement du monde, avec ses lieux singuliers et leur histoire. Un peu comme l'oeuvre d'art de l'âge classique, le paysage du marcheur conserve son aura ; contrairement à l'oeuvre d'art de l'ère de la reproduction technique qui ressemble à certains égards aux abords des villes actuelles - lesquels sont tous identiques, avec leurs périphéries, leurs ronds-points et leurs centres commerciaux.

Comme le peintre à ses heures inspirées, tout se passe comme si le pèlerin s’extrayait d’un rapport utilitaire au monde environnant pour aller vers l’initial, un monde fait de signes, avant la saisie rationnelle et pratico-technique de cet univers - cet "avant" que, dans l’expérience phénoménologique, Husserl appelle l’ante prédicatif. Dans un tel rapport, c'est d'abord le corps qui est sollicité ; c’est par lui, par la symphonie des sens pleinement éveillés (Ô aurores rougeoyantes du chemin !), tout autant que par ses douleurs, que j’ai le sentiment d’être partie prenante du cosmos, et plus loin, d’un réseau de significations oubliées, mais subitement régénérées. Les arbres, l’eau de la fontaine, les lapins, le renard, les serpents, les cigognes, mais aussi les hommes et femmes croisés sur le chemin, les paroles et les regards échangés, s’inscrivent alors dans un subtil réseau de sens.

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Comme l’ont bien vu nombre de philosophes - de Aristote à Nietzsche, en passant par Rousseau, Kant et bien d'autres -, la marche est propice à l’émergence de la pensée, à une incorporation, une lente et féconde rumination (pour reprendre l'expression de Nietzsche) qui permet aussi bien de forger des idées que d’en abandonner certaines autres.

Mais, avant même de grandes intuitions philosophiques, la marche a des vertus plus immédiates, que l'on pourrait appeler socio-thérapeutiques : alors que nombre d'entre nous souffrent aujourd'hui d'une dispersion chronique, d'une impossibilité à se concentrer, il est notable que la marche de randonnée fait partie de ces pratiques minimalistes qui, tel l'art du haïku (que je décris dans un article précédent), permettent de se délester à la manière d'un vagabond céleste pour aller vers la saisie d'une intensité, d'une tonalité affective.

Dans un monde régi par la rivalité mimétique, où mal-être, angoisse du vide et frustrations nous conduisent à trouver toujours plus de satisfactions dans l'accumulation (biens matériels, honneurs, etc.), où le désir se mue en répétition compulsive de toute sorte de comportements addictifs, la marche participe d'un dégonflage du moi et nous reconduit à une salutaire simplicité. Elle permet, naturellement et joyeusement, un recentrage, une reconnection avec ce qu'il y a de plus profond et de plus lumineux en nous.

La marche au long cours contribue à nous alléger des contraintes du moi et à nous ancrer tranquillement et progressivement dans une présence à soi. Comme dans le Tao, la randonnée entraîne une sorte de cessation ou de retrait de l'activité subjective - dépassement des limites du moi qui est source d'ouverture et de régénération. Quand elle a lieu sur un temps assez long et sur un rythme régulier, la randonnée transforme la problématique de l’ici et maintenant en celle, plus délicate, de la sensibilité à la durée, au moment qui passe. Durée qui est diffusion/infusion lente, silencieuse, à peine perceptible, de la présence, éveil sensoriel, primaire et animal. Petit à petit, le marcheur est renvoyé vers ce qui est finalement élémentaire, dans une rencontre nuptiale avec la nature, et, plus loin, en vertu de ce recentrage, avec ce qui fait notre commune humanité.

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De toute évidence, la marche - ce geste simple et si profondément humain - possède un pouvoir régénérateur. Mais cette sensation, qui peut aller du simple mieux-être jusqu'à ce que j'appelle une expérience-source d'évolution existentielle, est soumise à certaines conditions. Des recherches scientifiques anglaises (université de British Columbia) et américaines (une récente étude publiée dans les comptes rendus de l’Académie américaine des sciences) montrent ainsi que les randonnées réduisent le stress, l’anxiété, boostent la confiance en soi, et libèrent de l’endorphine. Plus précisément, des études indiquent que des personnes ayant marché pendant au moins 90 minutes dans un milieu naturel présentaient moins de pensées négatives et une activité neuronale réduite dans le cortex préfrontal (zone du cerveau relative aux maladies mentales). Par contre, en milieu urbain, on ne repère pas de tels effets, la marche pouvant même alimenter des formes de mélancolie.

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Le livre de Frédéric Gros montre bien les liens entre marche et philosophie. En ce qui me concerne, j’ai particulièrement apprécié le thème de la différence "d’habiter" entre le marcheur et l’homme du commun : dans la vie commune, le passage entre deux lieux (entre domicile et travail, par exemple) est un moment de transport inessentiel au regard de ces deux lieux (le départ et le but) ; pour le pèlerin, au contraire, le « chez soi » essentiel est le dehors, le paysage traversé ; alors que les gîtes d’étape constituent les moments inessentiels et transitoires en question. Idée qui correspond en outre parfaitement à l’esprit de Compostelle, pèlerinage se caractérisant de façon spécifique par l’intérêt porté au chemin (et non au but) - contrairement  à ceux de Rome ou Jérusalem, par exemple.

Concernant plus généralement l’activité du marcheur, F. Gros illustre bien ce que j’appelle une phénoménologie du corps marchant quand il écrit :

 

"Quand on marche, rien ne bouge, ce n'est qu'imperceptiblement que les collines s'approchent, et que le paysage se transforme. On voit, en train ou en voiture, une montagne venir à nous. L'œil est rapide, vif, il croit avoir tout compris, tout saisi. En marchant, rien ne se déplace vraiment : c'est plutôt que la présence s'installe lentement dans le corps. En marchant, ce n'est pas tant qu'on se rapproche, c'est que les choses là-bas insistent toujours davantage dans notre corps"

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Sur un plan plus existentiel, le Chemin, ou la randonnée au long cours, vaut comme mise en abyme, concentré métaphorique de notre vie, avec, à chaque étape, ses joies, ses souffrances, ses diverses modalités relationnelles. Le chemin est une école : les moments de marche solitaire où l’on apprend à mieux se connaître et à éprouver ses limites acquièrent une intensité inédite. Nous sommes en effet reconduits à des besoins simples et primitifs : marcher, le gîte, le climat, les capacités et soucis du corps, le ravitaillement (le pèlerin n’est pas un touriste, il ne visite pas, ne lit pas ; il marche). Nous apprenons aussi que la joie est indissociable de la souffrance, que "la division du travail" est impossible en la matière et qu'elle suppose une acceptation plénière de la vie dans toutes ses composantes : Sin dolor, no hay gloria !

Ces périples nous conduisent enfin à mieux accepter notre solitude, et cette autonomie joyeuse s'avère source de rencontres plus authentiques, dans la mesure où elle devient accueil de l'autre, minimisant ainsi le risque de transformer cet autre en objet visant à combler notre manque.

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Le marcheur fait l'expérience des dimensions telluriques de sa pratique, laquelle pratique permet en effet aux ressources physiques enfouies ou oubliées de se manifester dans leur plénitude. Moments de liberté, d'expression de la puissance du corps, de joie de se sentir pleinement vivant.

En marchant, chaque nouvelle aube est attendue dans l’effervescence, comme source de rencontres et d’inconnu ; la marche est en ce sens bergsonienne : une manière de se rapprocher de la vie comme source intarissable d'éternelle nouveauté. On s’enchante d’une aurore qui, tel un premier matin du monde, infuse dans nos corps. Nous nous s’éveillons à l’unisson d’une nature, d'un paysage dont la présence s’installe lentement en nous.

C'est sans doute cette joie de la marche, et le sentiment de gratitude qu'elle procure, que David Lebreton exprime (Eloge des chemins et de la lenteur) quand il écrit :

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« Baigné de cette hospitalité qui semble porter ses pas, le marcheur éprouve une reconnaissance infinie, il se sent à sa juste place à l’intérieur d’un monde dont il sent combien il le dépasse mais l’accueille. Sentiment plein d’exister rehaussé par l’autorité qui se dégage des lieux. Vivre possède enfin une évidence lumineuse. Les marcheurs sentent souvent cette royauté qui les incite à repartir ».

 

Sur le même thème :http://fraterphilo.over-blog.com/2016/05/auto-therapie-pedestre.html

 

Chemin de pèlerins au Japon : le Komono Kodo, septembre 2015

Chemin de pèlerins au Japon : le Komono Kodo, septembre 2015

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14 octobre 2015 3 14 /10 /octobre /2015 11:28
Japon : la noblesse des humbles

Mon train pour Deauville est bloqué en gare d’Evreux pour une durée indéterminée ; des informations sont diffusées au compte-goutte par la SNCF à travers une sono déficiente ; mes cours de la journée en Normandie sont remis en question ; gigantesque panne du RER A la semaine dernière, violences à Air France et sempiternels blocages corporatistes ; sans parler de la crasse des rues parisiennes : de retour depuis peu du Japon, sentiment diffus d’être revenu dans un pays du Tiers-monde.

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Expérience pleine d’enseignements - d’autant que j’ai eu la chance de commencer mon voyage avec une amie japonaise - la découverte du Japon (de Tokyo à Nagasaki, en passant par Kyoto, Nara, Koyasan, Hiroshima et Kurashiki) mériterait sans doute un très long article, voire un récit de voyage. Somptuosité des temples, grâce et délicatesse des jardins, des femmes, politesse, respect, gentillesse des japonais, beauté sublime des paysages, mariage de la modernité et de la tradition, ou encore saveur extraordinaire de la cuisine : tout cela est bien réel et source de découvertes et de joies, de même que mes quelques jours de pèlerinage sur le Kumano kodo, ce chemin classé au Patrimoine mondial de l'humanité dans la province du Kansaï. Mais dans le cadre restreint de cet article, il s’agit plutôt de se focaliser sur quelques points significatifs qui ont aiguisé ma sensibilité et ma réflexion lors de ce voyage.

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Plusieurs choses frappent immédiatement le voyageur européen : la propreté irréprochable des rues, des lieux publics, des gares, des lieux d’aisance (et leur nombre important) ; l’organisation sans faille et la ponctualité, des entreprises, des trains, bus, etc. ; l’extraordinaire discipline, et l’absence de l’idée même d’incivilité – des files d’attente se forment spontanément à tout propos, sans mauvaise humeur et sans qu’il ne vienne à l’idée de personne d’essayer de resquiller ; l’absence corrélative de violence ou de stress dans les rapports humains, et le sentiment d’être toujours pris en considération ; tout un ensemble de facteurs donc qui rendent le voyage au Japon étonnamment simple et reposant, et qui vont à l’encontre d’un certain nombre de nos représentations.

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Evidemment, un esprit latin comme le mien ne peut s’empêcher d’avoir un œil goguenard devant ces piétons qui attendent sagement le signal qui leur permettra de traverser une rue déserte, où il n’y avait de toute façon aucun véhicule à l’horizon pouvant représenter un danger quelconque. On connaît aussi les clichés sur la discipline supposée déshumanisée de fourmis et le rythme de travail implacable des japonais. Ces représentations ont bien une part de vérité, même si les japonais ont un sens de la fête assez développé, qu’ils manifestent assez facilement leur bonne humeur et qu’ils accordent aussi beaucoup d’importance à la vie de famille. Il est vrai que cette organisation rigoureuse et ce confort ont un coût, et le nombre de gens qui somnolent dans les transports en commun est significatif à cet égard. De même, dans ce pays où l’agressivité semble incongrue, et même bannie (il ne faut pas "perdre la face"), la violence trouve sans doute à s’exprimer d’une autre manière : peut-être se retourne-t-elle contre soi-même - les chiffres indiquant un taux très élevé de suicides.

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Les critiques ne sont donc pas totalement infondées, et, de fait, le voyageur peut osciller entre admiration et sentiment de malaise envers ce qui apparaît parfois comme un « meilleur des mondes », avec ce que cette notion véhicule depuis le roman d’Huxley. L’atmosphère envoûtante d'inquiétante étrangeté des romans d’Haruki Murakami, où le lecteur a affaire à des milieux plutôt aseptisés et à des sectes parfois étranges doit beaucoup à cet arrière-plan, à ce terreau singulier qui féconde sa littérature. Mais, pour saisir ce qui fait la singularité de ce peuple, il convient de dépasser cette vision trop courte d’une civilisation japonaise un peu déshumanisée et lobotomisée. Pour mieux comprendre certaines des caractéristiques - souvent très positives - évoquées plus haut, il faut plutôt prendre en compte le cocktail aléatoire de déterminations géologiques, géographiques, culturelles, religieuses et historiques au principe de cette civilisation. C'est en se situant sur un plan géo-philosophique que l'on peut adopter une position de retrait plus féconde permettant de s’élever depuis des préjugés communs et idées toutes faites véhiculées par les médias à une vision plus claire.

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L’approche géo-philosophique (conceptualisée par le philosophe Gilles Deleuze) établit une sorte de parallélisme entre, d’une part, les mouvements relatifs - géologiques, géographique, météorologiques, écologiques et sociologiques – et, d’autre part, les mouvements absolus – ceux de la pensée. Cela permet de rendre compte à un premier niveau de la forme de syncrétisme caractérisant le Japon. On le sait en effet, des plaques tectoniques immenses s’y rencontrent, de même que des courants et des vents contraires (source de typhons très nombreux), et une végétation luxuriante, multiple et diversifiée. Disons en passant que les catastrophes naturelles – tsunamis, typhons, tremblements de terre – expliquent sans doute en partie l’extraordinaire sentiment de solidarité organique qui émane de la société japonaise pour un observateur occidental : tout se passe en effet comme si, ce type de catastrophes pouvant se produire à tout moment, chacun avait intégré la nécessité de ne pas infliger à la communauté d’autres souffrances inutiles et de travailler au bien-être commun.

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A un second niveau, la détermination géo-philosophique insulaire rend compte des nombreuses influences qui, historiquement, participent de l’identité japonaise. De ce point de vue, le Japon fonctionne comme une systole, avec ses mouvements d’ouverture, dans un premier temps : ouverture au bouddhisme, à l’art coréen, au christianisme, à l’Occident et sa modernité, etc. Dans un style qui lui est propre, il s’est ainsi remarquablement approprié ces éléments constitutifs. Pour preuve l’assimilation et la transformation très intéressante – comme Zen - du bouddhisme indien (lequel, comme Chan, a d’abord transité par la Chine) permet de mieux comprendre ce qu’il peut y avoir de touchant dans cette société (et sur lequel je reviens un peu plus bas).

Mais, dans un second temps, la systole comprend un mouvement de fermeture, la solidarité organique pouvant alors prendre l’aspect d’une opposition ; de fait, un groupe humain se pose bien souvent en s’opposant à ceux qui n’en font pas partie. Pour ce qui concerne le Japon, le sentiment de solidarité organique repose aussi en partie sur une mythologie propre, avec des interprétations toujours susceptibles de durcir des distinctions classiques (sacré/profane, purs/impurs ; autochtones/étrangers, etc.) : le Kojiki, ou « Chronique des faits anciens », le plus ancien texte japonais - avec le Nihon Shoki qui inspire toutes les pratiques shintoïstes -, se veut un récit des origines sacrées, de l’Empereur, descendant direct des dieux, ainsi que de la formation des îles japonaises. Origines sacrées du Japon, de l’Empereur, et de son peuple : on sait ce que ce type de représentations a pu entraîner dans l’Histoire. Sans même évoquer les extrémités liées au sentiment de supériorité, cela se traduit aujourd'hui concrètement dans la société japonaise par une certaine crainte de l’autre, de la mixité, et surtout de la dissolution de l’identité.

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Rien de bien original, par rapport à d’autres sociétés, dans cette posture identitaire, avec une droite extrême qui met opportunément depuis quelques années l’accent sur le Shinto des origines. Plus largement, l’histoire du Japon est ainsi jalonnée de périodes de fermeture - contre le bouddhisme, le christianisme, les influences étrangères, occidentales, coréennes, chinoises - au nom de ce Shinto originel. Or, cette vision identitaire est éminemment contestable : en effet, en tant qu’ensemble de pratiques animistes disparates, le Shinto doit bien plutôt être compris comme une pré-religion, un peu comme le néant qui précède le Big-bang. Dès lors, les opérations d’épuration qui se sont régulièrement produites en son nom reposent surtout sur des reconstructions a posteriori. Incompréhension de son essence, malentendu à la source d’une fonctionnarisation des prêtres et de leur instrumentalisation par le politique – c’est tout un ensemble de conséquences guerrières parfois désastreuses qui se sont précipitées durant les ères Meiji et Edo, et évidemment au 20ème siècle.

A l’inverse de cette fermeture identitaire susceptible de postures sclérosantes, voire dangereuses, un grand nombre de spécialistes du Japon (historiens, sociologues, spécialistes des religions, anthropologues) s’accordent sur l’idée d’une sorte de magnétisme du vide Shinto, lequel attire et englobe le bouddhisme, le Tao, l’Occident, etc. Eminence du vide (en Chine comme au Japon), c’est peut-être bien cela qui fait la grandeur, « l’essence » de la culture japonaise. Le grand écrivain – Ô combien japonais - Mishima disait que le Japon était un creuset vide, ou il n’y avait rien d’original : seulement ce vide qui aspire toute chose et les recrache en les transformant.

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Une chose, indissociable du Zen, m’a particulièrement touché lors de ce voyage : la façon dont la tâche la plus humble (balayer, par exemple) est accomplie avec grâce, de façon scrupuleuse, en s’efforçant de donner le meilleur de soi-même. Jamais ne prévaut l’image de quelqu’un qui ferait juste le minimum, avec mauvaise humeur devant une tâche considérée comme indigne, comme nous pouvons souvent en faire l’amère expérience dans nos contrées. Corrélativement, prévaut le sentiment largement partagé que tout travail est digne d’être infiniment respecté, ce qui confère à chacun une forme de sécurité, un sentiment de reconnaissance, et constitue une source d’estime de soi. Il est vrai que l’on retrouve cette disposition d’esprit ailleurs, sous l'égide de différents Maîtres spirituels : le poète soufi Khalil Gibran ne parle de rien d’autre dans son poème « Le travail » (Le prophète) quand il évoque la nécessité de lier le travail à l’amour afin que celui-ci ait vraiment un sens. C’est aussi cette disposition qui est à la source du karma yoga indien – cette aptitude à considérer toute tâche de façon spirituelle, en étant intégralement présent dans ce que nous faisons, sans se focaliser sur une quelconque rétribution. Cette dimension spirituelle imprègne (encore un peu) la mentalité indienne sous l’influence de nombreux ashrams, et elle fut magnifiquement incarnée au 20ème siècle par Gandhi et sa façon de « s’investir » dans les tâches les plus humbles.

Mais ce qui fait l’originalité du Japon en la matière, c’est évidemment la façon dont ces dispositions se concilient avec les exigences de productivité d’une société hyper moderne dans la compétition mondiale. De fait, tout en étant en pointe dans bien des domaines, les japonais font un effort particulièrement important pour conserver leur Tradition, et cela inclut un certain nombre de métiers qui ont aujourd’hui disparu dans d’autres régions du monde.

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C’est ici qu’intervient la dernière détermination (mais pas la moindre) que je souhaitais évoquer : celle qui touche à l’histoire moderne. Suite aux événements de la 2nde Guerre Mondiale, cela fait soixante-dix ans que le Japon est sous protection américaine et, par là-même, « dispensé » de tout effort militaire. Dès lors, les capacités japonaises de travail, d’entreprise, d'organisation et d'innovation se sont évidemment réorientées : il en résulte une économie que l’on sait très performante (même si, paraît-il, les choses vont un peu moins bien ces dernières années), avec la culture de la consommation qui l’accompagne. Il ne s’agit cependant pas de caricaturer cette dernière dans la mesure où, si elle n’est pas sans certains excès, il s’agit bien plutôt de développer dans toutes ses implications le potentiel du Zen comme véritable culture du bien-être. Ce qui implique de façon indissociable un intérêt pour toutes les productions culturelles, les valeurs de respect de l’environnement, le souci de la communauté et l’attention à l’autre, toutes dispositions qui se traduisent de manière très concrète dans le quotidien et qui sont au principe de la qualité de vie japonaise. Parallèlement, fort de l’expérience atomique, les japonais se positionnent comme des phares en matière de paix dans le monde, avec nombre d’initiatives culturelles, pédagogiques et politiques.

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Cette atmosphère privilégiée peut parfois donner au voyageur le sentiment d’un décalage. Il y aurait comme un hiatus entre ce souci permanent de bien-être et la marche tragique du monde. Shinzo Abe, le 1er Ministre japonais, sans doute encouragé par d’autres puissances internationales, a pris la mesure de ce décalage. Dès lors, il cherche à réformer la Constitution de telle sorte que le Japon puisse se réarmer afin de participer éventuellement à diverses opérations militaires. Il considère non sans une certaine lucidité que, dans le contexte international actuel, le Japon ne peut se contenter de jouir de sa croissance, sans se préoccuper de l’état du monde. Mais, dans ce pays peu habitué à la révolte, ces positions provoquent actuellement un fort mouvement de protestation, notamment au sein de la jeunesse. Il est vrai que ce qui se passe à Hiroshima et Nagasaki est à la fois édifiant et émouvant. L'idée qu'un pays puissant, prospère, technologiquement en pointe soit en même temps un exemple de pacifisme est séduisante. Pourtant, si je devais me faire l’avocat du diable, je dirais qu’Abe, en bon hégélien (qui s’ignore), considère peut-être qu’un peuple uniquement tourné vers le bien-être risque fort de s’amollir.

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Il ne s'agit pas d'encenser ici le modèle japonais, ni, a contrario, de critiquer le modèle français d'intégration. De toute façon, crasse ou non, Paris reste Paris, comme le savent les japonais eux-mêmes, quand on se promène par une belle journée printanière du côté de Saint Germain des Prés. Simplement, comme c'est souvent le cas, la rencontre de l'autre, l'épreuve de l'étranger, fait ressortir la singularité de certaines de nos caractéristiques propres ; et, en ce sens, elle est évidemment féconde. Quoi qu’il en soit, elle amène à réfléchir sur ce qui fait à la fois la grandeur et la difficulté de la France dans son souci historique d'universalité. Mais cet article est déjà trop long, et cette analyse comparée devrait faire l'objet d'un prochain article.

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A mon sens le Japon est source d'enseignement mais n’est pas, contrairement à l’Inde, un pays qui éveille les passions. Cependant, "fécondité du vide" sans doute, quelques semaines après mon retour, je réalise que l'expérience du pays du soleil levant a plus d'impact que je ne le pensais initialement, et qu'elle est en train de s'inscrire de façon subtile, mais profonde, en moi.

Le temple d'or (Kyoto)

Le temple d'or (Kyoto)

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24 septembre 2014 3 24 /09 /septembre /2014 22:59
Le Compostelle de Rufin

Il n'est pas si facile de réaliser un film ou d'écrire un livre sur le Chemin de Compostelle. Ainsi, le film The way du réalisateur Emilio Estevez n'est certes pas mauvais, mais, sans doute à cause d'un souci américain de scénarisation, il passe à côté de cet ensemble de sensations, émotions, joies et peines silencieuses qui en fait la beauté. La tâche est sans doute plus facile de ce point de vue pour un écrivain, et, avec Immortelle randonnée de Jean-Christophe Rufin, l'on pouvait donc attendre un ouvrage de grande qualité. Certes, son statut d'Académicien, sa surface médiatique et ses réseaux ont fait de son livre un best-seller. Il a indiscutablement su surfer sur un effet de mode. Mais, relativement à l'expérience du Camino, pour un pèlerin de Compostelle ce livre présente quelques défauts majeurs. Ils m'avaient frappé quand je l'avais lu début 2013, et j'avais déjà eu à l'époque la velléité de rédiger, modestement, une réponse à l'auteur sous forme d'article de blog. Mais j'avais finalement préféré éviter un article critique et me cantonner, comme dans mes autres articles sur ce sujet (catégorie voyageur-pèlerin) à ce qui est significatif de ma propre expérience (article d'avril 2014 sur Les paradoxes de l'altérité).

Toutefois, suite à quelques discussions avec des amis pèlerins et à mon dernier périple sur le Chemin d'Arles (en septembre 2014), entre le Béarn et la Navare en passant par l'Aragon, je reviens à ce projet tant je réalise que mon sentiment sur ce livre est assez largement partagé et que les pèlerins "ne s'y retrouvent pas".

Précisons qu'il ne s'agit ici que d'un souvenir de lecture, et non d'une critique de détail appuyée sur des citations. Globalement, je parlerais de manque de sympathie de l'auteur pour son objet, d'une bienveillance bien faible, voire d'un certain mépris, aussi bien pour les pèlerins, que pour les populations des territoires qu'il traverse. Corrélativement, on trouvera donc assez peu de réflexions dans ce livre sur ce que j'appelle une phénoménologie du corps marchan t, c'est à dire sur la façon dont le monde, la nature et les hommes se dévoilent pour le marcheur. Bien peu de choses sur la manière dont le pèlerinage permet de se pénétrer d'une terre, de son âme, d'une culture, du rythme essentiel lié à un territoire. A cet égard, des livres de philosophes comme Frédéric Gros (Marcher, une philosophie) ou Christopohe Lamoure (Dictionnaire philosophique et vagabond de la marche), d'anthropologues comme David Lebreton (Eloge de la marche), voire du journaliste Bernard Olivier me semblent bien plus intéressants, même s'ils ne traitent pas directement et uniquement de Compostelle

A mon sens, la faiblesse du livre de Jean-Christophe Rufin tient à quelques prémisses malencontreuses, lesquelles, des plus extérieures aux plus profondes, conspirent à cet effet général :

1) Le conseil initial qu'il reçoit de prendre le Chemin du Nord n'est pas nécessairement pertinent concernant un débutant - et, à cet égard, J.C. Rufin n'est pas responsable - dans la mesure où ce chemin ne donne pas une idée claire de ce qui constitue le pèlerinage, sa dynamique, sa joie, ses peines, ses rencontres, etc. Il est possible que le difficile Camino Norte soit le plus beau - c'est encore à voir -, mais, en tant que chemin initiatique, sans doute dans un second temps. Il se mérite, en quelque sorte.

2) A partir de ce choix initial pour le moins dicutable, J.C. Rufin interprête de façon exponentielle l'idée selon laquelle on marche seul ; et, dans une sorte d'hybris - laquelle, il faut le reconnaître, tend à se réduire au cours de son récit -, ce précept devient chez lui une injonction à fuir tout autre pèlerin, à éviter tout gîte, et donc toute rencontre, voire à se couper du genre humain. Bien sûr qu'il y a désormais trop de monde sur le Camino Frances, mais faut-il pour autant confondre le Camino et Into the wild ? L'expérience décrite dans ce film est tout à fait respectable, et elle peut même faire partie du chemin à certains moments - là n'est pas le problème. Mais on ne voit pas pourquoi elle devrait s'appliquer systématiquement au Camino et en constituer la vérité. Quoi qu'il en soit, à partir de cette confusion, chaque personne rencontrée sur le Chemin est perçue comme une menace pour l'intégrité de la démarche spirituelle de l'auteur, quand elle ne fait pas l'objet de railleries intellectuelles qui fleurent un certain parisiannisme (le grand écrivain parisien qui se gausse du pèlerin lamba parce qu'il tient un journal de voyage !!).

Pratiquement, cet a priori du rejet et de la solitude effrénée implique un usage quasi permanent de la tente, des bivouacs dans des lieux désertiques, et donc, peu d'occasions de se laver. Certes, J.C. Rufin laisse entendre qu'il s'agit là d'une stratégie plus ou moins consciente de "retour à la poussière", de désindividualisation qui s'inscrit dans une sorte de cycle initiatique de mort et de renaissance. Mais, que ce soit en Inde - même chez les shivaïtes, avec leurs cendres - ou sur le Camino, je n'ai jamais, pour ma part, rencontré de pèlerins cherchant à approfondir une quelconque vérité de la crasse, comme le fait l'auteur. Quand on connaît un peu ces derniers, la lancinante et complaisante mélopée sur la saleté qui imprègne une partie non négligeable de l'ouvrage semble pour le moins déplacée - de même d'ailleurs que la référence récurrente au bagne, au forçat. Le rituel du pèlerin en fin d'étape c'est, dans l'ordre, "ducha, lavar la ropa, cerveza" (douche, lavage du linge et une bière !). Bref, avec J.C. Rufin, même si sa plume le sauve, on n'est finalement pas loin du bourgeois cherchant maladroitement à s'encanailler.

3) Une certaine maladresse : peut-être est-ce là le fond du problème. Dans la dernière partie de l'ouvrage - sans doute la plus intéressante - l'auteur assimile explicitement l'état du pèlerin parvenu à un certain stade de son parcours à celui mis en valeur par les Sagesses indiennes. Je ne peux que souscrire sur ce point, ayant moi-même évoqué à plusieurs reprises dans mes articles les analogies entre l'Inde, ses sensations, etc. (je n'irais pas pour autant, comme le fait J.C. Ruffin, jusqu'à affirmer que le pélerinage EST bouddhiste). Mais, lui qui se pique de sagesse indienne devrait surtout être plus attentif aux ruses infinies de l'ego. Je veux dire par là qu'un grand auteur est une sorte de phénoménologue qui sait disparaître derrière son écriture pour faire émerger un monde de sensation et d'émotions qui nous touchent tous, quel que soit l'univers social décrit par celui-ci. Il doit emmener son lecteur de telle sorte qu'il devienne progressivement le "lecteur de lui-même", comme le disait Proust, qui me semble indépassable de ce point de vue.

Or, ce n'est pas ce qui se produit avec ce livre : le lecteur y est sans cesse ballotté entre ce qui pourrait être une sorte de vérité universelle révélatrice du pèlerinage et des rappels incessants au statut particulier de l'auteur, à sa condition sociale très spéciale. A cet égard, divers épisodes qui se présentent comme signes de sa volonté de dépasser le personnage social vers un retour au primordial produisent l'effet inverse. Voulant jouer de l'effet de contraste, ils ne manifestent finalement que l'espace abyssal entre le grand homme du Quai Conti et sa condition de pèlerin lambda - ce qui renvoie ce dernier à quelque chose dans lequel il ne se retrouve pas. Rien ne nous est épargné pour signifier ce contraste, la "déchéance" de l'auteur, son retour au primitif, jusqu'à la défécation en pleine montagne et sa description jubilatoire de collégien.

La dernière partie de l'ouvrage dont l'articulation est explicitement trinitaire est bien plus intéressante dans mon souvenir, mais elle arrive bien tard, et j'ai conservé de ce livre un sentiment de déséquilibre, qui ne satisfait finalement ni le pèlerin, ni le féru de littérature.

Il existe, quoi qu'il en soit, bien des chemins différents qui rejoignent tous Santiago, et, si l'on peut avoir des préférences, aucun, me semble-t-il, ne mérite dans l'absolu plus de louanges ou d'opprobre qu'un autre. De même, c'est une banalité, mais qu'il convient de rappeler, je suis assez bien placé pour savoir que les motivations sont multiples et peuvent varier chez un même pèlerin d'un chemin à un autre. J'ai été pour ma part particulièrement sensible sur cette partie du Chemin d'Arles au Béarn, à sa rudesse simple comme sa population, à sa chaleur discrète, à son accent rocailleux comme ses Pyrénées, terre de légendes et d'histoire. Le Chemin passe aussi (dans tous les sens du terme) pour moi par l'Espagne, dont l'Aragon puis la Navarre m'ont rappelé combien cette terre, avec sa population, sa chaleur, sa fantaisie, ses excès, ses siestes interminables et ses tiendas ferméés jusqu'à 17 heure était chère à mon coeur. Le Chemin est aussi indissociablement lié pour moi à des rencontres qui en constituent la joie (je n'ai pas souvenir de la mention d'une rencontre de ce type chez J.C. Rufin), du partage d'un moment de grâce dans la marche du petit matin, par exemple.

N'ayant pas lu d'autres ouvrages de cet auteur, je ne sais s'il est un grand écrivain ; mais, au final, c'est peut-être bien le manque d'humilité qui ressort de ce livre et qui gêne le pèlerin, tant cette caractéristique se trouve être en opposition avec ce qui fait les valeurs du Chemin. Gageons qu'un autre périple, sur la Voie de la Plata (de Séville à Santiago) ou ailleurs permettra à J.C. Rufin de réviser sa posture et de trouver corrélativement une écriture plus "silencieuse".

Le Compostelle de Rufin
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Penser la violence ; l'oeuvre de Girard

Paru en Mars 2018 chez HDiffusion, Penser la violence de Pascal Coulon. 20 euro dans toutes les "bonnes librairies"

 

 

La violence a fait au cours des deux derniers siècles l'objet d'une pléthore de recherches dans bien des domaines, et nombreux sont les livres qui ont traité de la question en lui apportant des réponses fécondes. Bien peu cependant l'ont abordée dans sa dimension génétique essentielle de violence fondatrice. Et, pour cause ! Penser que toutes les communautés humaines et l'ensemble des processus civilisateurs, avec leurs rites, leurs cultures, etc., trouvent leurs origines dans une violence radicale qui en constitue la fondation ne va pas de soi ! De ce point de vue, Freud semble bien avoir la paternité de l'idée fondamentale d'un meurtre initial, paradoxalement à la source de la civilisation, de la morale et de la religion. Mais ne s'agit-il pas d'un mythe ? La question de la violence ne requiert-elle pas plutôt une méthode indiciaire, s'appuyant sur des recherches et un matériau anthropologiques ? L'oeuvre de René Girard tend dans un effort continu, magistral et souvent solitaire à remonter contre vents et marées aux sources d'une violence à la fois effective, revenant périodiquement, fondatrice et génétique. Sans omettre les failles de la doctrine, l'auteur met clairement en évidence l'articulation des théories girardiennes, désir mimétique, victime émissaire, méconnaissance, et nous en découvre la fécondité pour penser notre époque. (4ème de couverture)

Pages

LES GROUPES D'ENTRAIDE

Pascal Coulon, LES GROUPES D'ENTRAIDE

Une thérapie contemporaine

Psycho-Logiques
 

De nombreuses personnes trouvent dans les groupes d'entraide des ressources pour lutter contre leurs souffrances, se reconstruire psychologiquement et recréer du lien social. Quel est le véritable potentiel de ces groupes ? Quelles sont les origines de ces fraternités ? Quelles sont leurs valeurs ? Comment expliquer leur relative confidentialité et les résistances que ces groupes rencontrent en France ? Cet ouvrage met en lumière les polémiques qui opposent vainement la psychanalyse aux autres thérapeutiques de groupe face aux sujets addictés.


L'Harmattan, 22,50 euro
ISBN : 978-2-296-10844-8 • février 2010 • 226 pages

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